Nicolas Andrieu, membre de La Rochelle Nautique, directeur du bureau d’étude du Charal Sailing Team et Beyou Racing, récent vainqueur de la Transat Jacques Vabre en class40 s’est prêté au jeu d’un petit interview (itw auquel il a répondu avec grand plaisir et ravi de le faire pour le club, son club) pour évoquer le lien qu’il a avec le club, son parcours sportif mais aussi professionnel, jusqu’à cette participation à la Transat Jacques Vabre et enfin pour passer un petit message aux jeunes membres du club.
Nicolas, tu es licencié à La Rochelle Nautique alors que tu es installé en Bretagne, quel est ce lien qui te lie au club et pourquoi ?
Je vis à Lorient depuis dix ans et je ne reviens pas beaucoup à La Rochelle donc mon lien avec le club au quotidien depuis quelques années, n’est pas extrêmement fort. Par contre il y a quelque chose, je pense que je n’oublierai jamais c’est que ce club, m’a donné des moments de vie incroyable, toute mon enfance et adolescence.
Je suis arrivé à La Rochelle pour mes 10 ans et mes parents m’ont inscrit au club. De l’Optimist jusqu’à l’âge adulte, le club (la SRR à l’époque) et tout le microcosme autour du CDV, de la ligue, du pole ont été un peu ma 2e famille. C’est vraiment cette équipe de bénévoles, d’entraineurs et de moniteurs qui m’ont donné la passion de la voile mais pas seulement, ils m’ont aussi donné un cadre, un environnement. En effet, à l’adolescence, le monde scolaire et les parents ne sont pas forcément audibles pour les ados et avoir cet environnement dans lequel je pouvais m’épanouir avec des valeurs très saines et puis une passion commune j’ai l’impression que, au-delà de m’avoir fait vivre des bons moments de sport, il y a eu vraiment des gens qui m’ont aidé à devenir un meilleur ado, un meilleur adulte, c’est vraiment ça dont je me rappelle de la SRR et des gens qui étaient là pendant ces années et mon vrai lien au club c’est ça !
C’est vraiment un lien affectif au nom des années que j’ai passé et au nom des personnes qui se sont impliquées et qui s’impliquent encore aujourd’hui pour que des enfants puissent apprendre la voile et pratiquer ce sport
Quel a été ton parcours au sein du club ?
Je suis arrivé à 10 Ans donc en CM2 et j’ai fait ma première année à l’école de sport en Optimist avec Véronique Latapie qui était l’entraineur à l’époque. Je suis resté à l’école de sport à la SRR pendant un an et puis après j’ai tout de suite intégré les groupes de la ligue donc en Optimist puis en 420. On était intégré dans les locaux de la SRR donc je n’ai pas trop fait pas de différence entre les groupes de ligue car nous étions tout le temps au club et nous profitions du club house où on pouvait prendre les gouters. J’ai l’impression d’avoir passé toute mon adolescence là-bas.
En fin de lycée, j’ai rejoint le pôle France en 470, juste à côté et quand j’ai arrêté l’olympisme en 2007 ou 2008, j’ai fait un peu de Match Racing et notamment sur les B25 de la SRR à l’époque, encadré par Marc Reine.
Quel est ton parcours scolaire et professionnel, toi qui travailles dans le monde de la course au large ?
J’ai fait sport étude au collège Fromentin puis au lycée Dautet à La Rochelle, ensuite j’ai fait une école d’ingénieur en mécanique en étant au pôle France à La Rochelle en 470.
A la suite de ça, j’ai dû finir mes études en 2011/2012, j’ai rencontré sur une régate, Vincent Riou qui venait d’abandonner le Vendée Globe 2012 et qui repartait sur une campagne de Vendée Globe et qui m’a proposé d’être ingénieur pour son équipe pour développer le bateau, pour mieux le comprendre, en faire l’analyse des données, dessiner des pièces, gérer les sous-traitants…. J’ai accepté et c’est donc le moment où je me suis installé en Bretagne à Lorient, même si la base de Vincent était à l’époque à Port La Forêt. J’ai donc fait une campagne de Vendée Globe de 2013 à 2016 avec lui, ça a été des années où j’ai incroyablement appris, et, en 2017 en sortie de Vendée Globe j’ai été recruté par l’équipe de Jérémie Beyou pour le projet Charal qui débutait la conception et la construction d’un nouvel Imoca. J’ai intégré cette équipe en avril 2017 et pour laquelle je travaille depuis. Nous avons conçu le 1er Charal, nous l’avons construit et il a participé au Vendée Globe 2020 et à la suite de ce tour du monde nous avons conçu et construit un 2e bateau que nous exploitons aujourd’hui, qui vient de faire 2e de la course « Retour à la Base » et qui participera au Vendée Globe 2024 avec Jéremie Beyou.
Tu viens de gagner la Transat Jacques Vabre aux côtés de Ambrogio Beccaria, comment s’est monté ce projet en parallèle de ton métier dans l’équipe Charal ? et à quoi s’est joué cette victoire ?
Le projet c’est un projet qui a démarré après le covid, un projet un peu fou.
Quand Ambrogio a trouvé les partenaires pour concevoir un Class40, il a recruté un architecte italien qu’il connaissait très bien et qui avait plein d’idées mais qui n’avait jamais construit un Class40, Gianluca Guelfi. Ambrogio a aussi cru en quelqu’un qui montait son chantier à Gènes pour concevoir le Class40, et, à tous les trois et leurs équipes associées, ils ont réussi à monter, dessiner et construire un magnifique Class40 qui est devenu un des plus polyvalent de la flotte.
Ce qui est intéressant là-dedans, et ce qui va sans doute mieux faire comprendre pourquoi Ambrogio m’a choisi, c’est qu’il a cette capacite de très bien cerner les gens et de prendre les gens pour les compétences dont il avait besoin plus que pour leur palmarès.
Moi j’ai fait très peu de course au large, je n’ai pas un gros palmarès, d’ailleurs personne d’autre ne m’a appelé pour me proposer de faire la Transat Jacques Vabre, par contre mon expérience et mon métier avec les Imoca font que je pense que ce sont des bateaux que je comprends très bien et je comprends très bien aussi toute la physique qui est associée à ces voiliers de course au large et comment les utiliser, comment les optimiser simplement.
Par contre je ne l’ai jamais fait en course et je pense que c’est ça qu’il a vu et qu’il est venu chercher en me proposant de faire la Jacques Vabre avec lui et je suis très très content que cela ait fonctionné.
J’ai intégré le projet assez récemment, il y a six mois au mois de juin, et donc je pense que là où nous avons été bons, une des clés je pense de la victoire, c’est que nous avons réussi à mettre en place une méthode très pragmatique pour essayer de développer à la fois, le bateau et à la fois, notre duo pour l’adapter pile aux conditions et parcours de la Jacques Vabre.
Du coup, quand je suis arrivé dans le projet, la première chose que nous avons faite, c’est de faire une étude statistique sur la météo que nous étions susceptibles de rencontrer sur le parcours. Cette étude nous a donné beaucoup d’informations sur quelles conditions de vent nous allions rencontrer de manière prédominante, sur quelles voiles il fallait vraiment investir du temps et du développement, pareil pour le bateau, pour quelle condition de vent il fallait essayer de l’optimiser quitte à perdre dans d’autres secteur… Cela a donc été passionnant de travailler avec les voiliers sur les voiles, avec l’architecte pour modifier un peu les masses du bateau, faire des petits ajustements dans le temps imparti, avec les électroniciens pour essayer d’améliorer et adapter le pilote et puis de notre côté, il a vraiment fallu se focaliser sur les points qui nous semblaient importants pour la transat dans notre fonctionnement et dans notre manière de manier le bateau.
C’est un des points que je retiens et dont je suis vraiment très content car nous avons réussi à vraiment faire un plan de bataille et s’y tenir pour bien optimiser notre duo et le bateau alors que nous avions au final que deux courses de préparation, le Fastnet en juillet et une course qui s’appelle la Malouine 40 qui se court autour de st Malo en septembre. Plus quelques entrainements, le temps de navigation a été extrêmement court et pourtant nous avons réussi à être très efficaces puisque nous avions identifié je pense dès le début de notre association, les points qui étaient très importants et les points qui étaient anecdotiques et sur lesquels il ne fallait pas passer une minute.
Je pense qu’on fait un sport très divers, où il faut plein de compétences mais on fait quand même un sport mécanique et d’avoir réussi à bien optimiser la machine, je pense que c’était quand même un des gros enjeux de notre résultat sur la Jacques Vabre.
Ensuite c’est plutôt notre association qui a bien fonctionné. Avec Ambrogio nous ne nous connaissions pas avant qu’il ne me propose de faire cette course et on s’est vraiment retrouvés sur des valeurs essentielles en mer. Il n’y avait jamais de problèmes, il y avait juste des solutions que nous n’avions pas encore trouvées, nous étions vraiment dans une dynamique très très semblables comme d’être déjà hyper content d’être en mer, d’être positif, de toujours chercher à mieux faire et je pense que nous nous sommes vraiment tirés vers le haut l’un l’autre, chacun dans nos domaines de compétence. Lui est extrêmement fort en trajectoire et météo et, de manière générale il est très fort et très complet et moi, j’ai pu apporter mes connaissances en trouvant des nouvelles manières de manier, d’exploiter le bateau, d’adapter le pilotage automatique…. Je pense que nous avons fait pas mal évoluer notre façon de fonctionner, là on rentre dans des détails techniques mais c’est cette somme de petits travaux que nous avons fait tous les deux et avec l’équipe technique, qui a fait un travail remarquable, qui, quand on se retourne après six mois de projet, j’ai l’impression que nous avons fait ce que nous aurions dû faire en un an tellement on s’est impliqué et que nous pensions jour et nuit comment améliorer le truc.
J’imagine qu’il y a beaucoup d’autres équipages qui abordent les choses de la même manière. C’est dur de dire ce qui nous a fait gagner mais en tout cas, je pense que cette manière d’aborder la course elle est intéressante.
Et pour la genèse du projet, j’ai eu beaucoup de chance.
Quand Ambrogio m’a appelé un soir, j’étais comme un dingue car ça faisait plusieurs années que j’avais envie de courir au large et que je n’en avais pas trop eu l’occasion.
Donc je lui ai dit « oui je suis trop trop chaud, il faut juste que j’appelle deux personnes ». Je devais appeler ma compagne parce que le projet allait être très impliquant et qu’il fallait que je m’assure que c’était « OK » familialement et il fallait que j’appelle aussi Jéremie (Beyou) pour savoir comment on pouvait s’organiser pour que je puisse faire ce projet sans perturber les projets Imoca Charal et Teamwork pour lesquels je travaille. Jéremie, il a été extraordinaire, il n’a pas dit oui tout de suite mais il a été très bienveillant en me proposant de lui présenter un planning de navigation jusqu’à la fin de l’année et j’ai donc travaillé là-dessus et il a dit oui tout de suite après et c‘est parti comme ça. Pendant mes 6 années aux cotés de Jérémie j’avais accumulé quelques récupérations qui sont toutes passées dans le projet et j’ai eu beaucoup de chance d’avoir la bienveillance de l’équipe et de ma famille pour pouvoir mener les deux projets de front !
Quel est ton programme pour les prochaines années, d’autres courses en perspectives ?
L’année prochaine elle est hyper dense car nous avons le Vendée Globe pour les deux projet Imoca pour lesquels je travaille, Charal et Teamwork mais j’avoue que courir au large ça a été incroyable et j’aimerai pourvoir refaire des projets comme celui-là, régulièrement je ne sais pas mais en tout cas réussir à allier à la fois l’ingénierie et la conception des Imoca et la navigation en course. Donc refaire des projets comme une Jacques Vabre ou des étapes de The Ocean Race j’y pense, après à voir comment les deux peuvent se marier avec mon travail au bureau d’étude de Beyou Racing. Dans un monde idéal j’aimerai bien pouvoir faire les deux !
Mais aujourd’hui, pour 2024, j’ai rien de prévu à part de donner toute mon énergie pour que nos 2 Imoca fassent le meilleur Vendée Globe possible et mais c’est vrai que j’aimerai bien continuer à naviguer aussi.
Quel message aimerais-tu transmettre aux jeunes du club ?
Je trouve que nous faisons un sport magnifique et qui est très varié, un mixte de connexion avec un élément naturel génial, mais aussi une pratique, un sport qui est basé sur de la technique, de la physique et qui est extrêmement intéressant à comprendre, que ce soit juste pour le plaisir de bien naviguer ou pour s’investir dans la compétition.
C’est un sport incroyable et profitez-en, profitez que à La Rochelle il y ait un super plan d’eau et des structures de voile légère qui rende ce sport accessible et pour ceux qui sont motivés par la compétition, je leur dirai « allez-y a fond car les années de collège et de lycée ça passe hyper vite et après on doit vite faire des choix d’étude, de changer de villes qui, pour la plupart d’entre nous mettent un coup de frein à cette pratique donc profitez à fond de votre enfance et adolescence pour faire de la voile et ce sera des souvenirs pour la vie »